27 juin 2005

Humilité

Aujourd'hui je vous soumets un petit texte. N'allez pas chercher de la grande littérature car c'est en fait une nouvelle d'introduction que j'ai écrite hier soir pour le premier supplément de Némédia qui sera sur la Sigolie. Nous travaillons déjà dessus depuis plusieur mois.

Ledit supplément sera composé d'un écran de jeu pliable en quatre volets contenant tous les tableaux de jeu nécessaires au "Meneur". La face illustrée est bien entendu réalisée par Yo. Le livret qui se trouvera avec l'écran est composé de textes qui détaillent un peu plus les mystérieuses contrées du peuple nomade des chariots. Une nouvelle très violente, de Groumphillator, "Haine pure", deux très gros scénarios, "l'éventreur de Otvar" également imaginé et réalisé par Groumphillator. Un document sur les esclaves et us et coutumes, quatre nouvelles créatures au bestiaire, une carte détaillant les vastes territoires qu'arpentent les Sigoles des terres hyperboréales jusqu'aux "Monts venteux" en limite des marches "Banadh gnuisi" du Northland. Les illustrateurs sont en effervescences et nous devrions être à même de présenter aux joueur un exemple édifiant de ce que peut procurer une coopération ardue et passionnée.

Donc pour l'instant je vous propose de lire "Humilité, n'hésitez pas si le coeur vous en dit, libre à vous de laisser quelques commentaires en passant. Merci.

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HUMILITE

En l’enceinte sacrée du Vindo Gorsedd, le plus fameux sanctuaire druidique de Sigolie, deux jeunes garçons suivant l’enseignement des Scribes en vinrent un jour à se battre. Le motif était bien futile, tout ce qu’il y a d’enfantin, une querelle pour un petit objet gagné par l’un et que l’autre voulait s’approprier. Amargenos, Scribe vénéré et aimé parmi les siens pour la sagesse et la portée de ses préceptes, saisit cette opportunité pour illustrer une notion bien difficile à appréhender pour ses jeunes condisciples : l’humilité.

Séparant les deux garçonnets, Amargenos rassembla l’ensemble des jeunes étudiants. Le silence enfin revenu, après que chacun se soit installé, tous étaient prêts à boire avec délectation les paroles symboliques et lourdes de signification du vieil homme. Le Scribe fit quelques pas l’air songeur, observa un point invisible dans les sphères imperceptibles de son esprit d’érudit puis scruta l’assemblée l’œil brillant, un sourire réjoui aux lèvre.

« Enfants, quelle est selon vous la plus grande richesse d’un homme ? » Amargenos n’attend pas la réponse à la question qu’il vient de poser. Il se tourne vers l’un des bambins et le pointant de l’index ajoute : « Si des guerriers qui boivent de la bière s’abandonnaient à l’injure, que ferais-tu ? ». Là encore le Scribe n’attend pas la réplique, mais tous le savent. Enfin, une troisième fois, l’homme tout de blanc vêtu lance une devinette : « Quelle est la seule chose au monde qui vaille la peine de risquer sa vie ? Tous vous connaissez la réponse, sa signification est double, tribu et honneur… » Les enfants sont hypnotisés, ils souhaitent patiemment le récit qui va suivre, car Armagenos pose toujours de pertinentes questions qui mènent les jeunes sur la voie de la réflexion avant d’entamer un conte, de commencer une diatribe ou de caricaturer un comportement ; c’est la base de ses enseignements.

Sans que personne dans l’assemblée ne comprenne ce qui se passe, tous médusés regardent le vieil homme passer au milieu des rangs puis s’asseoir à même le sol en croisant négligemment les jambes dans une attitude totalement inhabituelle mais absolument détachée. D’une voix claire et chantante, Armagenos entame son histoire, il parle fort et articule chacune de ses syllabes pour que chacun l’entende et comprenne ce qu’il dit.

« Autrefois dans un Tuath dont nous aurions tous pu entendre parler, un roi de grande valeur et de grand renom festoyait avec ses Gaiscedachs et alliés pour célébrer une quelconque victoire. Les chefs de clans, les maîtres d’arme, Scribes, femmes libres et enfants étaient présents. Des Mendjis dansaient pour le plaisir des yeux des guerriers, les mets étaient variés et nombreux et l’alcool était versé à profusion. Le roi savait régaler et honorer les braves comme il se doit. Tous riaient, mangeaient et louaient cet hôte avec la vertu de rigueur en telle situation, point de vaine flatterie, juste l’expression d’un franc respect. Un peu plus enivré que les autres Nerins, un jeune et valeureux guerrier qui avait loué son épée au roi commence à railler ce dernier. Ce n’est pas son souverain, juste un employeur occasionnel, c’est un mercenaire. Il est moqueur et le vin lui délie la langue, ses propos sont pleins de rancœur et ses mots charrient le venin de la jalousie. La fougue de la jeunesse est en lui. Il se lève et sans retenue demande à son royal interlocuteur le prix qui lui revient de droit pour sa valeur au combat, il exige la plus belle Mendji. Devant tant d’insolence les Gaiscedachs sont outragés, les mains glissent vers les épées, et plusieurs se dressent pour défendre l’honneur de ce chef tant aimé. Lui, reste assis à manger et leur fait signe de s’asseoir, à peine inquiété, pas même courroucé. Le jeune guerrier est encore plus irrité, il s’emporte et fait état de sa bravoure, il se vante même d’avoir rapporté plus de trente têtes prélevées sur les ennemis qu’il a vaincus seul. Il demande le prix du sang et défie le monarque en duel. Le roi sourit, il a l’air amusé. Sans haine, il invite le brave à quitter la salle et à reprendre ses esprits, il lui propose même de songer à faire une offre pour l’esclave de plaisir convoitée. L’insolent dit qu’il ne reviendra pas sur le défi lancé et quitte la salle.

Le lendemain, le bravache revient auprès du roi et l’apostrophe à nouveau il argumente par le sarcasme et tente de pousser son interlocuteur sur la voie de la colère. Le roi attend poliment que le flot bileux de paroles cesse et fait part de sa décision devant tous.

« Je t’offre ma plus rapide monture, choisis-la toi-même. Prends le harnachement et la sellerie qui te conviendront. Ensuite va voir mon forgeron, sur ses conseils, apprécie et éprouve les plus belles lames qu’il m’a réservées et prends celle que tu estimes la plus admirable. Va voir mon Barde et demande lui de composer ton lai. Après tu pourras rentrer en paix chez les tiens.

Si tu désires toujours cette Mendji, voici son prix. Apporte moi le sourire de cent femmes libres et de cent enfants sur quelques cordes. Ou bien si ce prix te semble irraisonné, apporte-moi ta Pierre du foyer.

Si ces prix te paraissent indigne de ce trophée que selon tes propos tu mérites, alors par mon torque royal, tu auras ce duel que tu réclames, un duel à mort, sans concession. »

Trop heureux d’avoir obtenu raison, le guerrier choisit évidemment l’option du duel, telle confrontation est inespérée et sa vanité n’attend qu’une victoire facile à remporter sur un vieillard pour entrer dans la légende. Le roi acquiesce, il donne même la possibilité à son offenseur de réfléchir, il ne sera nullement offusqué si le Gaiscedach revient sur sa décision.

Le guerrier sort et l’épée à la main attend le roi sur la place du Tuath, il a la certitude absolue qu’il sera le vainqueur de cette joute et que la tête de son adversaire ornera sa ceinture d’ici quelques instants. La Mendji, objet de ce conflit sort à son tour, c’est elle qui combattra l’impudent. Il regarde la foule qui s’est amassée tout autour et comprend que son propre piège s’est refermé mais qu’il en est la victime. S’il veut l’esclave de plaisir il devra la combattre, s’il l’affronte il doit lui ôter la vie. S’il ne lui fait pas face elle le tuera, mourir de la main d’une Mendji sera la pire des fins qu’un Gaiscedach de sa trempe puisse imaginer. Une fin sans honneur. La rage monte au cœur de cet inconnu venu d’ailleurs et il entame sa danse de mort. Ses passes d’arme sont rapides, ses coups sont précis et sa lame siffle en décrivant de redoutables entrelacs meurtriers. La Mendji est touchée et son sang vient se mêler à la poussière. Elle recule, feint puis frappe. Une botte digne d’un vétéran. Le sot est contraint à son tour de parer puis de virevolter afin d’atteindre les parties vitales de l’esclave. Une seconde d’inattention et c’en est fini. Il est au sol, la Mendji appuie sa lame sur sa gorge. Il la regarde plein d’incompréhension, il pleure, il sait que c’est fini. Morrigan a parlé.

Une fois son rôle accompli, la Mendji retourne auprès de son maître, elle s’agenouille à ses pieds et sans se soucier de ses plaies entonne un air du Tuath, une complainte à la gloire du roi, sage, avisé et aimé de tous. C’est un suzerain estimé. Il est redoutable dans ses colères et juste dans ses jugements. C’est un guerrier chevronné et un maître bon. Un roi que l’on se doit d’encenser.

Le roi fait signe à l’un de ses Gaiscedachs et à son barde. Il prie le premier de préparer le corps du défunt pour le renvoyer chez les siens, avec tous les honneurs dus au guerrier, toutefois il ordonne que sa langue soit tranchée. Au poète il demande de composer l’élégie du trépassé. Il lui demande d’omettre les circonstances de cette mort sans gloire, de ne faire état que des hauts faits.
Le vieil homme s’arrête de parler. Il est satisfait. Les deux bambins qui s’étaient disputés se lèvent d’un même mouvement et vont relever leur, précepteur, ils l’accompagnent jusqu’à son banc. Un troisième enfant répond à la première question que le Scribe avait lancée « Maître Armagenos, la réponse est « sa Pierre du foyer » car elle représente le fait qu’il existe en tant qu’homme libre, qu’il est maître de sa destinée et libre de ses choix ». Le vieux acquiesce, c’est absolument exact. Un petit garçon râblé et grêlé de taches de rousseur se lève à son tour et apporte la solution de la seconde interrogation : « Sage Armagenos, si des guerriers boivent de la bière et s’abandonnent à l’injure, il ne faut pas se quereller avec ces ivrognes, tu viens de nous enseigner que l’alcool ôte la raison à plus d’un ». Un sourire sur le visage parcheminé du Sigole indique qu’il est satisfait de cette réponse. Enfin un quatrième garçonnet à peine âgé de onze ans se met à son tour debout et sans hésiter dit : « Maître, la seule chose qui vaille que l’on risque sa vie au monde c’est son Tuath. Le roi en est le cœur et le défenseur. Les Gaiscedachs, le sang, sans un bon roi ils sont livrés au doute et à la jalousie, certainement comme ce guerrier vaniteux. Ainsi que vous nous l’avez appris, l’orgueil et la suffisance, ralentissent l’ascension de l’homme d’un poids inutile. Si le brave avait réfléchi un instant, il aurait compris que le roi était bon quand le soir où il a été insultant, sa vie ne lui a pas été prise. Il aurait du comprendre le lendemain que malgré ses mots blessants, le roi lui tendait encore la main car en lui offrant sa plus belle monture, sa plus belle lame et le lai du barde, il lui faisait un plus beau présent qu’une Mendji. Il lui donnait la possibilité de revoir les siens, libre, maître de son destin et enrichi de l’amitié d’un suzerain et des dons dignes du plus grand héro. Il a tenté de lui faire comprendre que la colère l’aveuglait et qu’un monarque ne se bat pas contre un guerrier en faisant mention de son torque. Le roi a prouvé sa sagesse car il n’a engagé aucun Gaiscedach dans ce duel, pas même son héro. Enfin il a été impitoyable car il a opposé la Mendji au sot. Il lui a ainsi démontré que le fruit de sa convoitise serait aussi sa fin, car il n’y a pas d’honneur à combattre un esclave en duel. Il a fait trancher la langue de l’homme pour que dans le Sidhe il n’aille pas encore proférer des sottises si la leçon ici bas n’avait pas été suffisante ».

Armagenos applaudit alors ses petits condisciples, le message est passé une fois de plus la vivacité de leurs esprits a répondu à ses attentes. Le vieux Scribes est fier, mais il pose une dernière question. « Et vous quel aurait été votre choix, si le lendemain vous étiez revenus voir ce bon roi ? ».

Tous ensemble les enfants rient et d’une même voix ils crient de leur petits poumons : « Le sourire de cent femmes libres et de cent enfants sur quelques cordes ! Le chant d’un barde !!! »

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