Oui mon enfant, cinq longues années s’écoulèrent avant que les voyageurs ne se réveillent. Imagine quelle ne fut pas leur surprise de voir à quel point leur archipel avait changé. Des arbres chargés de fruits avaient poussé là où les restes pourris avaient été jetés. Le bétail s’épanouissait et avait donné de nombreux petits qui paissaient dans les verdoyantes prairies de l’archipel. Les jeunes plants étaient devenus de gigantesques arbres majestueux et solides dont ont avait pu tirer suffisamment de bois pour construire de magnifiques demeures. Là où n’étaient assemblées que quelques habitations s’érigeait une cité prospère digne des anciennes villes du vieux continent. En l’honneur du chef de clan, elle avait été nommée Tyr Bam Radon.
Tu te demandes ce qu’étaient devenus les œufs ? Ils avaient finalement éclos et laissé sortir des larves qui avec le temps étaient devenus des Kraocks. Les femmes les domestiquèrent sans peine et en firent des montures volantes très pratiques pour se déplacer d’une île à l’autre.
Cependant, Radon et ses guerriers, après cinq ans de ce long sommeil, étaient habités par l’amertume qui les avait accompagnés dans leur assoupissement. Ils étaient hantés par la disparition de leurs proches et la mort de Cormac que personne n’avait vengé. Aussi, comme personne ne se souciait plus des disparus ni de ceux qui les avaient enlevés, Radon et ses guerriers reprirent la mer dans l’idée de les retrouver. Personne ne put s’opposer à cette décision la décision des guerriers était irrémédiable. Mais avant de partir, mon jeune ami, Radon laissa une corne avec pour seule instruction de souffler dedans si un jour l’archipel était en danger.
Pendant dix ans, les vagues, vides et inutiles, balayèrent les rives de l’archipel sans que Radon ni aucun de ses hommes ne reviennent. Jusqu'au jour où surgirent de nouveaux navires. Ce n'étaient pas des fiers vaisseaux profilés et ce n'étaient pas non plus des radeaux en bois. Il s'agissait de cent curraghs aux voiles noires, enveloppés de brume, menés par de petites créatures à peau sombre couverte de tatouages effrayants du rouge le plus éclatant qui soit, aux cheveux noirs et drus, dont les yeux sauvages brillaient de mille feux.
Oui, enfant, c’était d’effroyables créatures que l’on aurait pu prendre pour des démons. Des êtres hybrides primitifs et sauvages. Les Fir Bolgs étaient de retour. Lorsqu'ils touchèrent terre, ils se séparèrent en trois groupes dirigés par leurs trois chefs, Fir Bolg, Fir Dommin et Fir Galiain, et partirent à la découverte des îles vertes. Ils n'oublièrent pas une seule vallée. Ils arpentèrent le cours des moindres rivières de la source à l'estuaire ou de l'estuaire à la source. Ils n'hésitèrent pas à gravir les collines et à se frayer un chemin dans la moindre forêt ou parmi les broussailles les plus touffues.
Alors que la population effrayée tentait de se cacher, un homme souffla dans le cor que le chef avait laissé. Un son si puissant en sortit que les Fir Bolgs en furent pétrifiés et restèrent paralysés, telle des statues vivantes. Les habitants de l’archipel en profitèrent pour tuer nombre de ces ignobles créatures dont le sang gorgea bien vite le sol des plaines. Quelques heures après que le cor eût sonné, le navire de Radon apparut au large des îles. Lorsque le chef posa pied à terre, tous furent ébahis de voir que malgré les dix années passées, Radon ni aucun de ses guerriers n’avaient vieilli.
Radon avança parmi les monceaux de cadavres des Fir Bolgs puis se dirigea vers ceux qui n’avaient pas été tués. Il leur adressa la parole dans une langue qu’aucun des siens mis à part ses hommes ne comprit. Alors les Fir Bolgs s’agenouillèrent et leurs trois chefs, Fir Bolg, Fir Dommin et Fir Galiain, baisèrent ses pieds. Puis les Fir Bolgs s’en retournèrent, laissant derrière eux quatre vingt de leurs curraghs. Oui mon fils, tel était le tribut que Radon avait prélevé. Les trois chefs restèrent sur l’archipel et brûlèrent les corps de leurs guerriers en un immense brasier. Radon leur avait dit qu’ils ne retrouveraient leur liberté qu’à la condition que ceux qu’ils avaient enlevés soient restitués à leur peuple.
Ainsi fut-il fait. Et une semaine après, ceux qui avaient été emmenés de force dix années avant revinrent sur les îles vertes. Toute la population en liesse les acclama comme il se doit. Durant un mois entier des festivités eurent lieu en l’honneur de leur retour et aussi en celui de Radon qui avait triomphé des Fir Bolgs. Le héros et ses hommes reprirent la mer avec trois chefs, Fir Bolg, Fir Dommin et Fir Galiain, ils partirent dans les lointaines contrées d’où les étranges Fir Bolgs étaient venus et plus jamais ne revinrent. La légende ne dit pas s’ils retournèrent sur la terre fabuleuse où Dana était apparue à Radon, les chroniques n’apprennent pas aux hommes où est cette contrée magnifique…
Ainsi, la vie reprit son cours sur l’archipel sans que jamais plus les Gaëls n’oublie celui qui était devenu légende parmi les siens. Seul subsistait son étrange cor, surplombant le trône du haut roi de Tyr Bam Radon. Mais pour ne pas oublier que les plus illustres ne sont pas immortels en cette terre, pour se remémorer le sacrifice de Cormac le Voyageur, après sept ans de règne, le haut roi est sacrifié. Oui mon ami, c’est ainsi… Et à sa place vient siéger le plus sage des guerriers de l’archipel.